Action collective : l’avènement d'une potentielle révolution au travail par l' extension du champ des class actions à la française
- demedeiroskarim
- il y a 6 jours
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours

L'article 16 de la loi n°2025-391 du 30 avril 2025 a potentiellement modifié la physionomie du contentieux du travail, en transposant la directive (UE) 2020/1828 du 25 novembre 2020 en droit interne.
Aux côtés de la grève et des actions classiques des syndicats et des CSE, il convient désormais de compter une action de groupe dont les contours ont été redéfinis et qui se distingue des précédents dispositifs issus de la loi Hamon et/ou de la loi de modernisation de la justice au XXIème siècle.
Auparavant limitée à certains domaines, le champ et les acteurs des class actions ont été prodigieusement étendus.
Le dispositif est maintenant vertigineux : les syndicats et associations disposent désormais d'un arsenal juridique important en matière d'action collective. Cet article a pour vocation de présenter l'action de groupe en matière de relations de travail, dans les grandes lignes.
I) Que sont les class actions ?
Les actions de groupe ou « class actions » sont des actions collectives exercées par une personne visée par la loi (voir infra "II" sur ce point), pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales victimes d’un manquement identique ou similaire à des obligations légales ou contractuelles.
Pour que l'action soit recevable, ce manquement doit être commis :
par une personne agissant dans l’exercice ou à l’occasion de son activité professionnelle,
par une personne morale de droit public,
ou par un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public.
Cette action collective peut avoir pour objet de faire cesser les agissements illicites et/ou d’obtenir la réparation des préjudices causés par ces manquements.
Observations : le texte insiste sur le fait que l’action doit viser une personne agissant dans l’exercice ou à l’occasion de son activité professionnelle. Il ne précise pas si le défendeur peut être une personne physique ou non.
Il pourrait, ainsi, être imaginé que des requérants soient tentés d’engager une action de groupe contre un salarié commettant des agissements illicites à l’encontre d’autres salariés.
Telle pourrait, par exemple, être le cas de la situation ou plusieurs salariés victimes d’un harcèlement moral engageraient, via une action de groupe, la responsabilité d’un salarié auteur de ces agissements.
Une telle action semble ne pas pouvoir prospérer du fait de l’immunité civile dont dispose le salarié qui agit dans le cadre de ses fonctions, en application de l’article 1242-5 du code civil.
Dans un tel cas, seul l’employeur, une personne morale ou une entreprise semble donc pouvoir être poursuivi par la voie de l’action de groupe.
II) Qui pourrait, a priori, exercer une class action pour les manquements concernant des manquements commis par un employeur ?
Lorsqu’elle porte plus spécifiquement sur la lutte en matière de discrimination, sur la protection des données personnelles ou sur la cessation ou la réparation d’un préjudice causé par ce manquement à plusieurs personnes placées sous l’autorité d'un employeur, l'action de groupe peut être exercée par :
les organisations syndicales représentatives de salariés au niveau de l’entreprise, de la branche ou au niveau interprofessionnel,
les organisations syndicales représentant les agents publics,
les organisations syndicales représentatives des magistrats de l’ordre judiciaire.
Observations : la loi ne vise pas particulièrement les salariés, mais les personnes victimes placées sous l’autorité de l’employeur.
Cette formulation autorise une interprétation large de la notion "d’autorité".
S’agit-il d’une autorité de fait (ex. : tiers à l’entreprise venant réaliser une prestation de service dans les locaux de cette dernière) ou d’une autorité de droit (ex. : personnes liées par un contrat de travail) ?
On pourrait ici penser, par exemple, que des tiers exerçant une prestation de service pour une entreprise pourraient engager la responsabilité de la société dans les locaux où ils travaillent au titre d'un manquement à son obligation de sécurité.
Par ailleurs, l’action de groupe dépasse largement dépasser le droit du travail et peut notamment concerner le droit de la sécurité sociale ou d'autres branches du droit...
Au reste, désormais, une organisation syndicale représentative de salariés au niveau de l'entreprise, la branche ou au niveau interprofessionnel ou une association agréée a la possibilité d'agir en réparation des préjudices subis individuellement par plusieurs personnes placées sous l'autorité de l'employeur. Cela était jusqu'alors fermé aux syndicats par la chambre sociale de la Cour de cassation (Soc., 22 novembre 2023, n° 22-11.238 et 22-14.807 ; Soc., 10 juillet 2024, n° 22-22.803).
Plus généralement, d’autres personnes peuvent exercer une action de groupe pour des manquements en général, ce qui inclut des agissements liés aux relations de travail :
une association agrée pour défendre les intérêts des victimes,
une association à but non lucratif, régulièrement déclarée depuis au moins 2 ans, justifiant de l’exercice d’une activité effective et publique de 24 mois consécutifs et dont l’objet statutaire comporte la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte (mais seulement pour obtenir la cessation des agissements illicites).
Ces personnes (organisations syndicales et associations précitées) peuvent exercer une action de groupe conjointement ou intervenir volontairement en cours d’instance.
Enfin, le ministère public peut agir en qualité de partie principale ou jointe.
Attention cependant, le demandeur à l’action de groupe en réparation des préjudices ne doit pas se placer en situation de conflit d’intérêts avec les personnes qu’il défend, sous peine d’irrecevabilité de l’action.
III) Une obligation d’informer le public de l’action de groupe pouvant entraîner de lourdes conséquences médiatiques
Les syndicats et/ou associations demandeurs à l’action de groupe a l’obligation d’ informer le public, par tout moyen utile, notamment via leur site internet, de l’action intentée, de l’état d’avancement de la procédure et des décisions rendues par la juridiction saisie.
Une action de groupe peut donc avoir de lourds retentissements médiatiques pour un employeur, avant même qu’une décision soit rendue par le juge.
IV) Une action pouvant être financée par un tiers
Les class actions peuvent recevoir des fonds de tiers, sous réserve que ce financement n'ait ni pour objet ni pour effet l'exercice par ces tiers d'une influence sur l'introduction ou la conduite d'actions de groupe susceptible de porter atteinte à l'intérêt de personnes représentées.
On pourrait donc imaginer que l’action fasse l’objet d’un financement via un crowdfunding de la part des salariés.
Attention, cependant, car le financement par des tiers fait l'objet d'une publication dans des conditions déterminées par décret.
V) Particularité des actions de groupe en matière de droit du travail : un bémol pour les demandeurs
Le législateur oblige les parties à tenter de trouver une issue amiable avant qu’une action de groupe concernant un manquement au droit du travail puisse être introduite.
En effet, avant l'engagement d'une action de groupe fondée sur un manquement au code du travail, le demandeur à l'action doit demander à l'employeur, par tout moyen conférant date certaine à cette demande, de faire cesser le manquement allégué.
Dans un délai d'un mois à compter de la réception de cette demande, l'employeur doit en informer le comité social et économique, si l'entreprise en dispose, ainsi que les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise.
A la demande du comité social et économique ou à la demande d'une organisation syndicale représentative, l'employeur engage une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation de manquement alléguée.
L'action de groupe engagée pour la défense des intérêts de plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou de plusieurs salariés peut être introduite à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la demande tendant à faire cesser le manquement ou à compter de la notification par l'employeur du rejet de la demande.
Observations : le législateur impose aux éventuels demandeurs à l’action d’inviter l’employeur à cesser un manquement au droit du travail. Qu’en est-il si l’action tend seulement en la réparation des préjudices ? Le texte est silencieux sur ce point.
Quid également de la prescription ? Continuera-t-elle à courir jusqu’à l’introduction de l’action de groupe ?
VI) Quelle sera la juridiction compétente ?
Des tribunaux judiciaires spécifiquement désignés seront compétents. Le conseil de prud’hommes ne pourrait donc pas, a priori, connaître d’une action de groupe, même si les syndicats ont le droit d’exercer les actions réservées aux parties civiles devant toutes les juridictions.
VII) Comment le juge traitera-t-il les actions de groupe en réparation des préjudices (hors réparation des dommages corporels) ?
Concrètement et en principe, le demandeur devra présenter des cas individuels à l'appui de sa demande.
Le juge statuera ensuite sur la responsabilité du défendeur.
Si estime le défendeur responsable, le juge déterminera le groupe de personnes concernées et déterminera les critères de rattachement à ce groupe de personnes.
Lorsque les éléments produits et la nature des préjudices le permettent, le juge déterminera, dans le même jugement, le montant ou tous les éléments permettant l'évaluation des préjudices susceptibles d'être réparés, pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe qu'il a défini.
Les victimes devront ensuite se manifester dans le cadre des délais et de la procédure fixés par le juge pour obtenir la réparation de leur préjudice.
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