Convention de forfait annuel en jours non valable et heures supplémentaires : le salarié peut parfois réclamer un rappel de salaire conséquent à son employeur
- demedeiroskarim
- 11 nov. 2024
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 janv.
Sommaire :
Introduction
I) Définition et encadrement juridique du mécanisme de forfait annuel en jours
II) Distinction entre l’inopposabilité et la nullité de la convention de forfait en jours
III) Portée de la nullité et de l’inopposabilité de la convention de forfait en jours
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Introduction
Les cadres du privé ou du public représentent environ 20% de la population active française, selon l'Insee.
Ils sont souvent soumis à une charge de travail conséquente et à des risques psycho-sociaux importants.
En 2019, un article des Echos titrait : malgré les 35 heures, les cadres travaillent presque autant que dans les années 1970.
La crise de la covid-19 n'a pas eu raison de cette tradition...
En 2023, une étude de l’Agence pour l’emploi des cadres a révélé que 46 % des cadres travaillent en moyenne 43 heures par semaine et que 22 % d’entre eux travaillent plus de 50 heures par semaine.
Cette même étude indique que 41 % des cadres consultent leurs e-mails ou prennent des appels le weekend et 33 % le feraient pendant leurs vacances.
Et 34 % des cadres estimeraient leur charge de travail comme étant trop importante...
Or, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, travailler plus de 55 heures par semaine augmenterait le risque d’accident vasculaire cérébral de 35 %, sans compter les retentissements psychologiques que cela est susceptible d'entraîner.
Il n’est donc pas rare que des cadres soient arrêtés par leur médecin pour burnout ou trouble anxiodépressif en raison de leurs conditions de travail.

Les hommes, comme les femmes, sont concernés par cette problématique, ces dernières étant de surcroît en proie à des licenciements discriminatoires insidieux en cas de maternité, lorsque l'employeur estime qu'elles ne sont plus en mesure d'assumer leur charge de travail.
En droit privé du travail, le temps de travail important des cadres est, entre autre, rendu possible par le mécanisme juridique du forfait en jours.
Le temps de travail des cadres et de certains salariés autonomes est, en effet, souvent encadré par un mécanisme juridique de convention de forfait annuel en jours, qui rend possible le fait de travailler au-delà des durées maximales de travail.
I) Définition et encadrement juridique du mécanisme de forfait annuel en jours
Le forfait annuel en jours est un mode de décompte du temps de travail atypique, qui permet de décompter le temps de travail en jours en non en heures.
Exit donc les 35 heures ! Le temps de travail est décompté en demi-journée ou journée.
Le salarié en forfait annuel en jours ne peut donc être soumis à des horaires de travail ou à une obligation de badger ou de pointer (soc., 7 juin 2023 n° 22-10.196)...
Il dispose de la possibilité de commencer et terminer sa journée de travail quand il le souhaite, sous réserve des contraintes liées à l’organisation du travail et de respecter les éventuels plannings de indiquant les journées et demi-journée de présence (ou de télétravail) imposées par l’employeur (Soc., 2 février 2022, 20-15.744).
Cependant, la flexibilité apparente qu'offre ce mécanisme joue contre le salarié dans la majorité des cas.
Le salarié n’étant pas soumis à des horaires de travail, les règles relatives aux durées maximales de travail hebdomadaires ou quotidiennes ne s’appliquent pas (art. L 3121-62 du code du travail), comme évoqué supra.
En revanche, le salarié et l’employeur demeurent tenus de respecter les durées de repos, qui sont, par principe et sauf accord collectif plus favorable, au minimum de :
- de 11 heures consécutives par jour,
- 20 minutes au bout de 6 heures de travail,
- de 35 heures consécutives par semaine,
Ainsi, à titre d’illustration, l’employeur ne peut imposer à un cadre finissant le travail à 22h30 de reprendre le travail avant 9h30 le lendemain, pour que les 11 heures de repos quotidien soient respectées.
Le forfait en jours entraînant un mode de décompte du temps de travail particulier, la loi et la jurisprudence encadrent très fortement le suivi de la charge de travail du salarié, afin d’éviter les dérives.
Ainsi, le dialogue social occupe une place importante dans l'encadrement des conventions de forfait en jours : l'employeur doit nécessairement prévoir la conclusion d’une convention individuelle de forfait par une convention ou un accord collectif contenant les mentions de l’article L. 3121-63 du code du travail.
Cet article dispose, notamment, que cette convention ou cet accord collectif doit prévoir :
1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise .
Si cet accord ne contient pas ces dernières stipulations, une convention individuelle de forfait annuel en jours (i.e. la convention individuelle de forfait est matérialisée par une mention au contrat de travail ou un avenant à ce contrat) ne peut être établie que sous réserve du respect des dispositions suivantes (art. L. 3121-65 du code du travail) :
1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation va plus loin que le code du travail puisqu’elle indique, depuis 2017, en se fondant sur le droit de l’Union européenne que le dispositif de forfait en jours doit assurer :
« la garantie du respect d’amplitudes raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires »
(V. not., en ce sens : Soc. 24 avril. 2024, n° 22-20.539 ; Soc. 5 juillet 2023, n° 21-23.387 ; Soc. 14 décembre 2022, n°20.20-572 ; Soc. 8 novembre 2017 15-22.758).
Eu égard à ces principes, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé qu’est nulle ou privée d’effet la convention de forfait en jours ne permettant pas à l’employeur de remédier en temps utile à la charge de travail du salarié (en ce sens, not. : 2 arrêts Soc. 10 janvier 2024, pourvois : n° 22-15.782 et n° 22-13.200 ; Soc. 5 juillet 2023 n° 21-23.387).
C’est ainsi, à titre d’illustration qu’elle a censuré les dispositions du forfait en jours de la convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile en ce qu’elles :
reposent sur un système déclaratif reposant sur le salarié,
que l’instrument de contrôle qu’elles prévoient ne contient aucun renseignement sur les amplitudes de travail, sur la charge de travail, sur sa répartition tout au long de l’année, ainsi que sur les durées de travail en découlant,
et que le contrôle opéré par l’employeur ne traduit aucune possibilité concrète d’intervenir en temps utile en tant que de besoin, malgré un entretien annuel.
(Soc. 5 juillet 2023, n°21-23.222, V. not. le commentaire explicatif de la Cour de cassation, publié la lettre de la chambre sociale n° 20 mai/juillet 2023 [en ligne]).
Il en va également, à titre d’illustration de la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire, en ce que les dispositions relatives au forfait en jours :
contiennent un système de contrôle du temps de travail reposant exclusivement sur le salarié, au travers de l’établissement d’un document récapitulatif des jours de travail et des temps de repos,
et ne prévoient qu’un entretien annuel sans mécanisme associé d’ajustement, en temps utile, de la charge de travail,
Selon la Cour de cassation :
Là encore, l’absence de tout dispositif permettant à l’employeur de déceler une charge de travail excessive et d’intervenir en temps utile pour y remédier prive l’accord collectif d’efficacité.
(Soc. 5 juillet 2023, n°21-23.387, V. not. le commentaire explicatif de la Cour de cassation, publié la lettre de la chambre sociale n° 20 mai/juillet 2023 [en ligne]).
Il ne suffit donc pas que l’employeur organise un entretien annuel sur la charge de travail, l’articulation entre la vie personnelle et professionnelle, etc., pour que le forfait en jours soit valable.
L'employeur doit instaurer un véritable mécanisme qui lui permet de remédier rapidement à la charge de travail du salarié.
II) Distinction entre l’inopposabilité et la nullité de la convention de forfait en jours
Une convention de forfait en jours est nulle, à défaut d’écrit l’établissant ou lorsque les stipulations conventionnelles ou contractuelles l’établissant sont insuffisantes (Soc. 13 févr. 2013, n° 11-27.826 ; Soc. 18 mai 2014, n°13-13.947 ; Soc. 4 nov. 2015, n° 14-10.419 ; Soc. 17 déc. 2014, n° 13-23.230 ; Soc. 9 mai 2018, n°16-26.910).
C’est également le cas, lorsque les stipulations l’établissant sont insuffisantes et que l’employeur n’applique aucune mesures de rattrapage (en ce sens, not. : Soc. 24 avril 2024, n° 22-20.539 ; soc. 10 janvier 2024 n° 22-15.782) . Une convention de forfait nulle est considérée comme n’ayant jamais existé juridiquement.
En revanche, lorsqu’elles sont suffisantes, l’irrespect des stipulations sur le fondement desquelles est établie une convention de forfait la prive d’effet. C’est notamment le cas en l’absence d’entretien concernant la charge de travail du salarié (Soc. 29 juin 2011, n°09-71.107 ; Soc. 2 juill. 2014, n°13-11.940 ; Soc. 19 févr. 2014, n° 12-22.174 ; Soc. 15 déc. 2016, n° 14-29.701). Une convention de forfait privée d’effet est considérée comme inopposable dès que le juge constate que ses stipulations sont inappliquées.
III) Portée de la nullité et de l’inopposabilité de la convention de forfait en jours
Les conséquences de l’inopposabilité ou de la nullité de la convention de forfait en jours peuvent être importantes pour l’entreprise.
En effet, dans un tel cas, le temps de travail n’est plus décompté en jours, mais en heures.
Il faut donc, de nouveau, appliquer le seuil de 35 heures/semaine pour le calcul de heures supplémentaire.
Le salarié est donc fondé à demander le paiement des majorations de salaire dues pour les heures supplémentaires réalisées au delà de 35 heures/semaine.
Cela peut parfois (souvent) s’élever à des dizaines de milliers d’euros de rappel de salaire.
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